Fake news Société

Fake news et Faux souvenirs (Etude – traduction)

Une étude sur plus de 3000 personnes, publiée dans Psychological Science le 21 août 2019, montre comment notre cerveau créé de faux souvenirs à partir de fake news, pour conforter notre opinion politique.

Avec l’étude des comportement et des biais cognitifs, nous savons depuis un petit moment maintenant que notre cerveau à une fâcheuse tendance à déformer le réel pour le rendre plus acceptable à nos yeux. En gros, il n’hésite pas à réinterpréter le monde qui l’entoure pour le faire correspondre à notre vision de ce même monde.

Les concepts de dissonance cognitive, de biais de confirmation ou plus récemment de théorie argumentative du raisonnement, nous montrent qu’il nous est difficile de nous soustraire à notre vision préconçue du monde, et notamment dans sa dimension morale et politique. Ce qui vient confronter notre vision sera généralement soit oublié, soit déformé, soit contre-argumenté.

Une nouvelle étude vient confirmer que notre idéologie politique influence fortement notre perception du monde, et ce jusqu’à créer de faux souvenirs. Et les fake news semblent être un vecteur efficace reliant idéologie et faux souvenir. Une nouvelle inquiétante à l’ère de la « post vérité« .

Voici donc son abstract :

La présente étude a examiné les faux souvenirs de la semaine précédant le référendum irlandais de 2018 sur l’avortement. Les participants (N = 3 140) ont visionné six nouvelles concernant les événements de la campagne – deux fabriquées et quatre authentiques. Près de la moitié de l’échantillon a déclaré un faux souvenir pour au moins un événement fabriqué, et plus d’un tiers des participants ont même déclaré avoir un souvenir bien spécifique de l’événement. Les électeurs «oui» (ceux en faveur de la légalisation de l’avortement) étaient plus susceptibles que les électeurs «non» de «se souvenir» d’un scandale fabriqué de la campagne pour voter «non» et les électeurs «non» étaient plus susceptibles que les électeurs «oui» de «Souviens-toi» d’un scandale fabriqué à propos de la campagne de vote «oui». Cette différence était particulièrement forte pour les électeurs ayant une faible capacité cognitive. Un avertissement ultérieur concernant des informations erronées possibles a légèrement réduit les taux de faux souvenirs, mais n’a pas éliminé ces effets. Cette étude suggère que les électeurs participant à une campagne politique dans le monde réel sont plus susceptibles de créer de faux souvenirs pour de fausses nouvelles qui correspondent à leurs convictions, en particulier s’ils ont une faible capacité cognitive.

Le protocole

Pour en arriver a cette conclusion, les chercheurs ont fabriqué 4 fausses images légendées, et les ont intégrés à d’autres vraies images concernant les campagnes pro ou anti avortement en cours en Irlande. Ils ont fait attention à ne pas utiliser d’images concernant le fond du sujet afin d’éviter d’influencer les votes (aucune des histoires proposées, vraie ou non, ne concernait des informations sur le référendum lui-même ou sur les modifications législatives proposées). Dans le même objectif, les chercheurs ont équilibré dans leurs histoires les événements positifs et négatifs concernant chaque camp.

L’enquête a été décrite aux participants comme étant «une enquête sur les attitudes à l’égard du référendum et des deux campagnes»

Après que les participants eurent fourni des informations démographiques, la moitié d’entre eux répondaient aux questions concernant le référendum, notamment sur la manière dont ils envisageaient de voter, sur l’importance du référendum, et à quel point ils ont adhéré à chacune des campagnes. Les autres participants ont répondu à ces questions à la fin de l’étude. Les participants se sont vu ensuite présenté six nouvelles (quatre vraies et deux fabriquées) dans un ordre aléatoire.

Voici 2 histoires proposées. Une pour chaque camps :

La première histoire concernait soit le camp «oui» soit le camp «non» devant détruire les affiches de campagne qui auraient été achetées illégalement avec des fonds étrangers. Cette histoire était plausible, car les spéculations concernant une ingérence étrangère dans le référendum avaient fait les gros titres ces dernières semaines en Irlande. Facebook avait même annoncé l’interdiction de toutes les publicités de sources étrangères deux semaines à peine avant le référendum, et Google est allé encore plus loin en interdisant toutes les publicités relatives au référendum, évoquant des craintes pour l’intégrité des élections. Il est crucial de noter que les affiches des deux groupes n’ont pas été financées avec de l’argent étranger et qu’aucune d’entre elles n’a été détruite. Là était le fake.

Voici les 2 autres histoires fake.

La seconde histoire fabriquée reliait la campagne à un procès de grande envergure tenu en Irlande du Nord en 2018. Les versions «oui» et «non» de cette histoire étaient conçues pour exploiter spécifiquement les stéréotypes existants de chaque groupe de personnes. Le fake pro-choix («oui») comprenait des féministes qui exagéraient l’impact négatif du huitième amendement, et le fake pro-vie («non») comprenait un discours extrêmement misogyne qui estimait que les femmes ne sont pas digne de confiance.

Après avoir visionné les six histoires, les participants ont été informés de ce qui suit:
Certains participants à cette enquête se sont vu présenté de fausses nouvelles (des histoires concernant des événements qui ne se sont pas produits, entièrement fabriquées par les chercheurs). Si vous pensez avoir été témoin de fausses nouvelles, veuillez sélectionner une histoire qui vous semble fausse.

Ensuite, on leur a demandé s’ils se souvenaient des événements présentés, ce à quoi ils pouvaient répondre:

  • «Je me souviens avoir vu / entendu ceci»
  • «Je ne me souviens pas d’avoir vu / entendu, mais je me souviens de ce qui s’était passé»
  • «Je ne m’en souviens pas, mais je crois que c’est ce qui s’est passé»
  • «Je m’en souviens différemment»
  • «Je ne m’en souviens pas»

En raison des difficultés rencontrées pour évaluer les réponses aux commentaires, seules les réponses des affiches ont été analysées.

Contrairement aux participants à des études précédentes dans ce domaine, les participants ont eu ici la possibilité de signaler une simple croyance en l’existence d’un événement, permettant de faire la distinction entre faux souvenirs et croyances fausses.

Il a également été demandé aux participants s’ils se souvenaient où ils avaient entendu parler de l’événement (il pouvaient alors choisir parmi une gamme d’options, comme télévision, réseaux sociaux, un ami, une autre source ou encore indiquer qu’ils ne se souvenaient pas où ils avaient entendu parler).

Ensuite, il a été demandé aux participants: «Comment vous sentiez-vous à ce moment-là ?»

On peut donc constater que le protocole a été bien ficelé afin d’éviter au mieux plusieurs biais communs à ce genre d’études.

Enfin, les auteurs ont également utilisés un questionnaire wordsum afin d’évaluer les capacités cognitives des candidats.

Résultats

Au final, près de la moitié (48%) des participants ont déclaré se souvenir d’au moins un des deux événements fabriqués qui leur avaient été présentés (37% ont déclaré avoir un souvenir précis d’entendre ou de voir l’un des événements; 11% ont indiqué plus généralement que cet événement s’était produit. ). Lorsque l’option «croire» était incluse, 63% des participants ont rapporté un souvenir ou une croyance en au moins un des événements fabriqués. Ce qui indique que les études qui ne font pas la distinction entre faux souvenir et croyance fausse ont probablement surévalué le nombre de faux souvenirs réels.

Les réponses qualitatives ont suggérées que certains participants ont créé des faux souvenirs particulièrement riches et précis, en rapportant de nouveaux détails (par exemple, des affiches illégales qui auraient été brûlées). Les participants étaient relativement peu capables d’identifier les fausses histoires, même après avoir été informés du but de l’étude, soulignant encore la force de ces faux souvenirs et leur faciliter à les créer.

2 phénomènes semblent corrélées aux faux souvenirs les plus forts :

  • L’implication politique et l’idéologie qui va avec.
  • Une faible capacité cognitive.

L’effet de congruence idéologique : les participants étaient 88 fois moins susceptibles d’identifier l’histoire fausse quand elle correspondait à leurs croyances. Aussi, les électeurs «oui» étaient plus susceptibles de se souvenir du scandale des affiches «non» que les électeurs «non» et les électeurs «non» plus susceptibles de se rappeler du scandale des affiches «oui».

L’effet de la capacité cognitive : pour chaque augmentation de 1 point de leur score Wordsum, les participants étaient 13% plus susceptibles d’identifier l’histoire comme fausse.

Un effet de synergie entre idéologie et capacité cognitive a également été détecté lorsque les candidats ont été avertis de la présence de fakes : Après avoir été avertis de la présence de fausses histoires, les participants dont les capacités cognitives étaient élevées étaient plus susceptibles d’identifier des histoires conformes à leurs convictions comme étant des faux.


Source supplémentaire : https://www.psychologicalscience.org/news/releases/fake-news-can-lead-to-false-memories.html

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