Histoire Scepticisme

À la recherche de Margery [trad.]

À la recherche de Margery

Traduction de l’entretien de Massimo Polidoro avec l’arrière-petite-fille de la médium

Article publié le 8 novembre 2011

Le visage fourbe et intelligent de Margery

Lors de la recherche de matière pour mon livre Final Séance: L’histoire de l’étrange amitié entre Houdini et Conan Doyle (Prometheus Books, 2001), j’ai essayé à plusieurs reprises de traquer quelques-uns des parents du milieu « Margery », en particulier ceux qui avaient un rôle clé à la fois au moment de l’amitié entre Houdini et Doyle, ainsi que pendant la période où les deux étaient devenus ennemis.

Le fait qu’Houdini soit membre du comité Scientific American avait effrayé les plus malveillants, prêts à tricher pour gagner le prix.

L’histoire des enquêtes du Scientific American et des affrontements ultérieurs entre Houdini et Margery sont devenus légendaires parmi les spécialistes de l’histoire de la parapsychologie. Pour cette raison, beaucoup cherchent toujours des histoires ou des informations « nouvelles » qui couvriraient ces événements.

Je savais que Margery avait un enfant qui était probablement encore en vie, mais malgré plusieurs tentatives de prises de contact je n’ai jamais reçu de réponse. En fin de compte, quand est arrivé le jour du bouclage, je finis le livre sans avoir l’information que je voulais ajouter.

Un gros plan de Margery avec, derrière, le sournois Malcolm Bird

Puis, en Mars 2002, je recevais un courriel d’Anna Thurlow, qui se présente ainsi : « Je suis l’arrière petite-fille de Margery, elle était mon arrière-grand-mère. » Pardon ? C’était vrai ou était-ce une blague d’un ami farceur ? Non, c’était vrai et je l’ai découvert assez vite. Anna m’a écrit parce qu’elle avait lu mon commentaire pour le Skeptical Inquirer sur le livre de Ken Silverman dédié à Houdini (Polidoro, 1997 -.. Vol 21, 3 – Mai / Juin). Elle me dit qu’elle trouvait le livre « exceptionnel », même si elle a tenu à « préciser qu’il n’a jamais été prouvé que Mina ai effectivement offert des faveurs sexuelles aux membres du cercle de ses séances de spiritisme. Le même Ken [Silverman, NDT] le soulignait soigneusement. Bird (Malcolm Bird, Secrétaire du comité Scientific American) le lui aurait dit, mais je pense qu’un homme prêt à commenter des questions personnelles dans une tentative désespérée de sauver sa réputation ne peut pas être une source d’information fiable « .

Ravi de pouvoir parler avec la petite-fille de Margery, je pensais que ce serait très intéressant de connaître le point de vue d’un membre de la famille qui n’a pas été impliqué dans l’affaire depuis le Dr Crandon. Il semblait presque que, 80 ans plus tard, les «représentants» contemporains de Margery et d’Houdini ont eu l’occasion de se rencontrer et de parler de ce qui était arrivé au cours de ces célèbres séances à Boston. C’était comme faire un retour dans le temps et écouter une conversation entre deux personnes qui avaient été très proche de ces deux grands personnages.

 

Massimo Polidoro: Anna, je dois admettre être un fan de Margery et je pense que son idée de feindre les phénomènes était principalement dû à sa relation difficile avec son mari plutôt que de tenter de tromper le public. Qu’en pensez-vous ?

Anna Crankshaw: Tout d’abord, ne crains pas de m’offenser quand à son « authenticité » ou non – je ne crois pas aux phénomènes surnaturels, bien que je sois fascinée par leurs performances somptueuses et leurs rituels. Quelle qu’ait été la raison qui l’a conduite à commencer (et je suis d’accord avec vous, même si je pense qu’elle voulait aussi mystifier les gens, mais je pense qu’il y avait des raisons psychologiques plus graves), elle s’est finalement trouvée impliquée mentalement. Après la mort du Dr Crandon (même s’il était mon grand-père, nous l’avons toujours appelé  « Dr Crandon »), elle a continué l’écriture automatique seule, comme si c’était sa seule compagnie, ce qui, je pense, est assez triste.

MP: Avez-vous pu connaître personnellement Mina quand vous étiez enfant ?

Mina et son mari, le Dr Crandon

AC: Ni moi, ni ma mère ne l’avons jamais connue parce que Mina est morte très jeune, à cause de son alcoolisme. Mina a eu une grande influence sur mon grand-père, John Crandon (fils de Mina, et père de ma mère) et l’a beaucoup façonnée. Mon grand-père était un homme très malheureux, hanté par sa mère, dont il avait honte. Dans la famille, il parlait rarement, mais malgré cela, ma mère savait beaucoup de choses qu’elle m’a dite. J’étais curieuse de savoir si ces histoires étaient vraies, et parfois on a été en mesure de prouver qu’elles l’étaient. Dans tous les cas, l’impact psychologique en raison des caprices de mes grands-parents et le conflit avec Houdini avait profondément affecté ma famille.

MP: John est encore en vie ?

AC: Oui, mon grand-père est encore en vie, mais mentalement incapable. Bien qu’en premier lieu, il ai toujours rejeté toute demande de contact avec sa famille – c’est la raison pour laquelle vous n’étiez jamais parvenu à nous trouver. Cependant, ma mère était fascinée par Mina et se préparait à écrire un livre sur les femmes, sur la spiritualité et la société de Boston, où Mina avait eu un rôle central. Ma mère est morte d’un cancer en 1995, peu de temps avant la sortie du livre de Ken, que j’ai lu avec enthousiasme car il a contribué à en découvrir beaucoup plus que ce que nous savions déjà. Je suis reconnaissante envers Ken de m’avoir fournit les réponses aux nombreuses questions auxquelles mon grand-père n’a jamais voulu répondre.

MP: Pensez-vous terminer le livre de votre mère ?

AC: J’y ai pensé (pour être honnête ma mère m’a fait promettre que je le finirais à sa place). Malheureusement, mon travail ne me laisse pas beaucoup de temps libre. Je suis risk-manager d’une grande banque privée. Je voudrais utiliser cette activité comme une diversion pour me libérer l’esprit des choses ennuyeuses sur lesquelles je travaille toute la journée. En ce moment, je suis encore dans la phase de tri du matériel que ma mère m’a laissé. J’essaie d’assister à la seance annuelle d’Houdini, que je trouve très intéressante, et c’est bien grâce à la possibilité d’assister à des séances intéressantes, comme à des séances peu passionnantes, que maintenant j’apprécie la capacité de Mina à créer la bonne atmosphère.

      Un gros plan intense d’Houdini

MP: Quels sont les autres membres de votre famille qui sont encore en vie ?

AC: Nous sommes juste moi et le frère de ma mère, Alan. Alan est marié et a un enfant et il prend soin de mon grand-père à Boston. Il a vécu entre Singapour et le Vietnam au cours des 25 dernières années, il n’a pas été aussi impliqué dans cette situation, même si ça lui plairait de vous parler.

MP: Pouvez-vous m’aider à dessiner une image plus précise de Mina et votre famille ?

AC: Avec plaisir. Je vous préviens, ce sera une longue réponse ! Je commencerai par expliquer mon arbre généalogique parce que je me rends compte qu’il peut être source de confusion. Alors, Mina a été mariée à M. Rand, un épicier appartenant à la classe ouvrière à Boston et avait un fils nommé Alan Rand. Lorsque Mina a été opérée pour une appendicite, elle est tombé amoureuse de son chirurgien, le Dr Leroi Crandon. Elle a divorcé de son mari et a épousé le Dr Crandon. Le Dr Crandon avait également été marié et avait divorcé une fois avant de rencontrer Mina. Le Dr Crandon avait une fille nommée Marie qui, à un moment donné, à été déshéritée et personne dans ma famille n’a jamais su ce qu’il lui était arrivé ensuite. Lorsque Mina et le Dr Crandon se sont mariés, Alan avait plus ou moins 9 ou 10 ans. Son nom a été changé en John Crandon et a été légalement adopté par le Dr Crandon, qui avait toujours voulu un fils.

John Crandon épousa Dorothy Tebbe et ensemble ils ont eu deux enfants, Marie et Alan. John Crandon a suivi les traces du Dr Crandon, tout comme il le voulait, et est devenu chirurgien. Marie, qui est ma mère, a toujours détesté son nom, c’est pourquoi tout le monde, sauf mes grands-parents, l’appelaient « Libbet ». Alan est mon oncle et il vit actuellement à Boston avec mon grand-père (ma grand-mère est morte en 1991). Le nom de sa femme est Van et leur enfant s’appelle Randy Crandon.

Je ne pense pas que ce soit une décision consciente de répéter les noms de génération en génération. Mon nom n’appartient à aucun membre de ma famille, ma mère l’a choisi parce que c’était le nom de la nourrice qu’elle et son oncle avaient quand ils étaient enfants.

MP: Ca ne devait pas être facile pour un enfant comme votre grand-père John de vivre dans une maison où il se passait toutes ces choses étranges. Que pensait-il de la célébrité de sa mère ?

AC: L’idée de parler de Mina l’énervait beaucoup (la famille du côté des Rand ne la connaissait que sous le nom de Mina, alors que les personnes en dehors de la famille ou des “chercheurs” comme Houdini l’ont toujours appelé Margery, ma mère et moi utilisions les deux noms). Il y a quelques années, je lui ai demandé ce qu’il pensait de tout cela, et il a dit qu’il se rendait compte que quand elle a commencé les séances spirites, il y avait quelque chose qui n’allait pas, niveau mental. Mais quelques minutes plus tard, il se tourna vers moi et me dit d’une manière qui fait m’a fait dresser les cheveux : «Ils ne savaient pas ce qu’ils faisaient. Le jeu était très dangereux. ». Sa chambre du 10 Lime Street était juste à côté de la salle des séances, et il pouvait tout entendre. Ils l’enfermaient dans sa chambre tous les soirs (comme ils le faisaient avec les domestiques) pour démontrer aux participants que le groupe de la séance était sous contrôle. Je pense qu’il avait environ douze ans. Je pense donc qu’il était rationnel, ça a dut être vraiment horrible. En le voyant revivre ces moments pour moi, il était si terrifié que je n’ai plus jamais réitéré de pareilles demandes.

Ma mère m’a dit qu’il y avait une vague d’indignation publique sur cette situation, et cela suffit pour obliger Mina à envoyer mon grand-père à Andover (un collège). Une fois, je lui ai demandé comment elle faisait, il a répondu: « Astuce avec des miroirs. » Mais il n’a rien ajouté d’autre.

Une des photos exclusives pour « Query »: Mina avec son jeune fils John

MP: Avez-vous eu d’autres occasions de discuter de Mina avec John ?

AC: J’ai demandé à plusieurs reprises à mon grand-père de me parler de Mina, mais il détestait vraiment en parler. La conversation que je vous ai racontée a eu lieu en 1997, je pense, juste avant son effondrement mental, il avait un peu plus de 80 ans, alors que j’en avais presque 30. La question des miroirs à eu lieu le même jour. Je lui ai demandé s’il croyait que Mina était médium (il me répondit que non), comment elle faisait (il m’a alors dit qu’ils avaient utilisés des miroirs) et comment il se sentait en étant dans la chambre voisine (sur ça, il a préféré ne pas s’exprimer). Il a été très secoué et l’infirmière m’a dit qu’il avait fait des cauchemars toute la nuit. Sid Radner (fan de Houdini et le plus grand collectionneur au monde d’antiquités lui ayant appartenu, et qui prétend être en mesure d’entrer en contact avec les grands illusionnistes grâce aux séances spirites. N.D.R) était très désireux de lui parler, mais après cet épisode, j’ai eu l’impression que les souvenirs de mon grand-père n’aurait pas été suffisant pour justifier l’agitation émotionnelle profonde que la conversation lui aurait certainement causé.

MP: Le Dr Crandon est mort en 1939 (en passant, vous savez comment il est mort ?), et Mina en 1941, mais nous savons qu’elle était beaucoup déprimée et alcoolique. Comment avez-vous vécu ses deux dernières années ?

AC: Après la mort du Dr Crandon (je ne sais pas comment il est mort, probablement de causes naturelles), Mina a eu une relation avec leur avocat, M. Button, et je pense qu’elle s’est installée avec lui à New York. Mais ma mère et ma grand-mère (ma grand-mère a été choquée par tout ça et ne savait pas vraiment comment réagir face à Mina) ont toujours détesté. Je ne sais pas pourquoi, peut-être que mon grand-père a-t-il cru que Button avait volé l’argent ou du moins qu’il profitait d’elle. Sûrement que Button approuvait ses « expériences », donc je ne serais pas surpris de découvrir qu’il espérait recréer la même notoriété qu’elle eu dans le passé. Cependant, je n’ai jamais réussi à trouver quelque chose qui confirmerait que c’était une mauvaise personne, donc je ne peux pas trop dire. Mina a bu encore beaucoup et c’est la raison pour laquelle elle est morte a à peine plus de cinquante ans (bien que l’alcool et la dépression, d’après ce que j’ai compris, lui donnait l’air d’être beaucoup plus vieille). Mais oui, mon grand-père avait très honte d’elle, comme je pense la plupart des enfants d’alcooliques, même sans que tout le monde ne connaisse ces faits privées. Quand elle est morte, mon grand-père était déjà marié.

Un test pour déterminer si, avec sa bouche occupé, la voix de « Walter » se manifesterait quand-même. Apparemment pas.

MP: Le « Button » auquel vous faites référence serait W.H. Button, alors président de l’American Society for Psychical Research, la société de recherche en parapsychologie ?

AC: Tout à fait ! J’ai été choquée quand j’ai compris que Button a été le président de l’ASPR, ma mère pensait qu’il était avocat. Button a classé, stocké et mit de côté tous les documents de la dernière période de la vie de Mina, toutes les enveloppes ont son nom et son adresse. Je suis curieuse de savoir quand il a commencé l’archivage par rapport au Dr Crandon. Je n’y ai jamais pensé, mais les documents du Dr Crandon semblent s’épuiser autour de 1926 (probablement dans la période où le Dr Crandon ne croyait plus en Margery ?) et il est mort avant 1938. Je me demande si leur relation n’a pas démarré parce que Button “prit la question à coeur”. Elle a déménagé à New York pour être avec lui. D’ailleurs, elle a vécu dans la 116ème rue Ouest, et bien sûr Houdini a vécu dans la 113ème rue Ouest. Ma mère et moi avons aussi vécu dans la 113ème Ouest pendant près de 15 ans, à seulement deux pâtés de maisons !

MP: Comme on parle de maisons… Durant la recherche de documents et informations pour mon livre, je suis allé à Boston et j’ai essayé de localiser la maison où Mina a vécu et où ont eu lieu les célèbres séances avec Houdini et l’équipe du Scientific American. Mais je n’ai pas pu la trouver, faute de temps. Je me demandais si la maison existe toujours ?

Sir Arthur Conan Doyle et Malcolm Bird.

 

AC: Oui, la 10 Lime Street est toujours là. Elle est située au sud de Charles Street, près de Walnut Street et d’autres rues avec des noms d’aliments. Pas une maison très intéressante. J’ai écrit aux propriétaires pour demander si je pouvais les rencontrer mais ils ne m’ont jamais répondu. Je n’ai même pas nommé Mina – J’ai juste dit que ma mère y est née et que j’aurais aimé visiter la maison pour des raisons personnelles – sans succès. Je sais qu’elle a été récemment rénovée et je rêverais de savoir s’ils ont trouvé des passages secrets ou quelque chose comme ça. Un petit détail, l’une des photos les plus célèbres de Margery (celle où elle est debout devant une porte) en fait a été prise devant la maison voisine. La 10 Lime Street n’a pas d’entrée couverte. Je sais que la photo a été prise par Houdini et j’ai lu quelque part une note où il a été demandé de maintenir ce fait secret à cause de leur « réputation » – Je pense qu’ils ont réussi à s’entendre pendant si longtemps juste parce qu’ils ont dû garder le secret des photos ! Je pense qu’ils partageaient le fait de provenir de la même classe sociale, la classe ouvrière, et d’avoir réussi à surclasser beaucoup de gens satisfaits d’eux-même malgré leur provenance. Et puis ils avaient tous deux quelque chose que la société rejetait – il était juif, et elle une femme. Aucune de ces choses n’était tenue en haute estime par la plupart des participants, autant que je sache. Regardez ma mère, plutôt, je pense qu’elle est né là-bas, mais sur son certificat de naissance l’adresse est différente – pourtant ils étaient bien installés au 10 Lime Street à cette période. Peut-être que mon oncle est né là-bas. Ils sont restés au 10 Lime Street jusqu’à cette date (début des années 40). J’espérais que c’était une raison suffisante pour voir la maison, sans avoir à sortir toute l’histoire des séances, car, souvent, le sujet a tendance à embêter les gens.

MP: En parlant d’images et de documents anciens, en Septembre 2000 a été mis aux enchères sur eBay une collection très intéressante : des archives sur Margery qui comprenaient 350 photographies originales (dont 6 d’Houdini jamais vues auparavant) et bien d’autres prises au cours de l’expérience avec le Scientific American. Et puis il y avait de nombreux livres et brochures rares, probablement tout ce qui existait sur Margery. Quand j’ai envoyé mon offre, la collection avait déjà été vendue ! Savez-vous quoi que ce soit à ce sujet ? Il semble que ça appartenait à un membre très proche de la famille de Mina.

AC: Non, mais je peux sûrement trouver. Je vous avoue que quand j’ai lu le document que vous m’avez donné, tout d’abord j’ai eu un choc car il résume assez bien tout ce que j’ai. Ma grand-mère a commencé à dévoiler quelques éléments pendant sa phase sénile (dans les années 80 et au début des années 90), et en fait, j’ai immédiatement pensé qu’elle aurait pu donner à ces objets. Cependant, je me suis rendu compte que tous les principaux protagonistes du Scientific American possédaient des coupures similaires (par exemple Bird), c’est donc susceptible de provenir de l’un d’entre eux. Ou peut-être de Prince ? Peut-être quand il a déménagé à Boston parce que la personne qui les a vendus vivait juste à côté. Mais ça m’intéresserait d’en savoir plus – c’est certainement une étonnante collection – merci beaucoup pour l’info !

MP: N’a-t-on jamais parlé dans votre famille d’Houdini et de l’enquête du Scientific American ?

D’ autres photos exclusives pour « Query »: Un gros plan de John, fils de Margery et grand-père d’Anna Thurlow …

AC: Avant de lire le livre de Ken, je ne connaissais rien de l’épisode du Scientific American, sauf que cela avait été un scandale. Le nom d’Houdini a été respecté à la maison, mais aussi il dégageait une aura de tristesse et de honte. Lorsque le Boston Globe a déclaré que selon Houdini Mina était une mystificatrice, mon grand-père était sorti pour acheter tous les exemplaires du journal qu’il trouva, afin qu’elle ne puisse pas le lire. Je me souviens que c’était ma mère qui m’en avait parlé. Je suis d’accord avec Houdini sur le fait que les séances de spiritisme puissent être définies par un mélange de théâtre et d’auto-suggestion du public, mais celles où il était intervenu étaient assez simples.

Je voudrais vraiment savoir comment ils ont gêré les sessions les plus complexes. Je crois qu’Houdini lui-même ne fut pas tout à fait franc à ce sujet – il donnait même l’impression de cacher ses intentions. Cependant, à mon avis, la manière terrible avec laquelle il était traité par le Dr. Crandon et d’autres le lui autorisait amplement.

MP: Mina a-t-elle laissé en héritage quelques objets, des lettres ou d’autres souvenirs ?

AC: Selon moi, une des choses les plus étranges est que les albums de coupures de presses, la correspondance et les notes de Mina que je possède maintenant contiennent peu, très peu d’écrits de sa propre main. Souvent, le Dr Crandon en était venu au point de répondre au courrier des fans au nom de Mina. Ce qu’elle a laissé à sa famille n’est pas très différent de ce qu’elle a laissé à d’autres : beaucoup de questions et très peu de réponses satisfaisantes. Il me reste l’un de ses collier (je le porte toujours au cours des séances), son anneau de mariage, l’une de ses jupes, et rien d’autre. Mina (comme alors ma grand-mère) avait donné beaucoup de choses avant sa mort, parfois à des gens qui vivaient dans la rue et qu’elle ne connaissait même pas.

… Une photo prise avec le flash, dans l’obscurité d’une séance. Margery semblait avoir manifesté un ectoplasme …

MP: Vous avez dit que, sans doute, le Dr Crandon n’avait plus donné de crédit à Margery après 1926. Que pensez-vous de lui ? L’a-t-il aidé à monter quelques-unes de ses mises en scène, ou bien avait-il aveuglément cru en elle ?

AC: Je pense que ces expériences devaient avoir convaincu le Dr Crandon. Personne, je pense, ne serait capable d’écrire avec une telle constance à des amis proches, et pendant tant d’années, quelque chose qu’elle considèrerait comme un mensonge. Aussi étrange que cela puisse paraître aujourd’hui, je pense que Conan Doyle (dont l’amitié a été tenu en haute estime par mes grands-parents) et le Dr Crandon étaient vraiment persuadés d’explorer les frontières de la science. Le fait qu’aujourd’hui encore en famille, nous l’appelons « Dr. Crandon », bien qu’il fut mon arrière-grand-père, en dit long sur sa personnalité – Je pense qu’il était capable d’une grande colère. Non pas qu’il fût méchant, mais il était vraiment plein d’imperfections. Mon grand-père, même s’il était terrifié, l’aimait et l’admirait – Je crois qu’il l’appréciait pour toutes les opportunités qu’il lui avait offert (mon grand-père était devenu un chirurgien bien connu et respecté, ayant reprit l’activité du Dr Crandon). Il savait aussi que la colère du Dr Crandon pouvait être dévastatrice (comme je le disais, il a déshérité sa fille biologique parce qu’il n’a pas aimé son mari). Et puisque le Dr Crandon avait déjà plusieurs fois divorcé au moment de se marier avec Mina, j’imagine qu’il se souciait beaucoup de faire régner la paix dans sa maison. Ceci est l’une des raisons pour lesquelles je ne prends pas vraiment au sérieux la déclaration de Bird au sujet de ses relations sexuelles. Il me semble que Bird était une personne plutôt fascinante mais déséquilibrée, et pas tout à fait digne de confiance – voire tragique, dirais-je, vu comment il a disparu (à ma connaissance) plus tard. Probablement que ce n’était pas un homme avec qui il serait sage d’avoir une relation trop intime. Mina ne serait-elle pas vraiment imprudente de s’impliquer avec une telle personne, si ce qui lui tenait le plus à coeur était de plaire au Dr Crandon ?  Bien sûr, une relation n’est pas toujours logique, mais Bird fait retentir ma sonnette d’alarme, 80 ans après.

MP: Comme nombre de ceux qui ont examiné l’histoire de Margery et l’enquête du Scientific American, il me semble que tu n’aies pas de grande opinion de Malcolm Bird.

… Un beau portrait de Marie, la mère Anna (fille de John et petit-fille de Margery), sur un bateau.

AC: Je pense que c’était une personne très hypocrite. Il a pratiquement emménagé au 10 Lime Street, et je soupçonne que mes arrières grands-parents ont pu lui donner de l’argent (bien que je ne puisse le prouver – c’est juste une référence à un chèque en blanc que Mina lui aurait envoyé, qu’il utilisa ensuite pour la provoquer : « Comment pourraient l’interpréter certaines personnes en le voyant ? »). Les raisons qui les ont amenés à se lasser l’un de l’autre peuvent être nombreuses. Cependant, je serais curieux de savoir ce qui est arrivé à Bird – Il me semble qu’il était plutôt malheureux, pas tout à fait capable de gérer les exigences de la situation dans laquelle il se trouvait. Bien que je suppose que la même situation a prévalu sur les personnes impliquées.

Anna ne connaissait pas mon livre, mais parvient alors à se procurer une copie.

AC: J’ai lu avec plaisir votre livre, j’apprécie vraiment le style, et il est agréable de voir qu’avec un certain équilibre et un peu de lucidité on peut parler du sujet en question. J’imagine qu’écrire à propos de la correspondance a été un challenge – on veut qu’une lettre parle de soi, mais en même temps on ne peut pas exiger que le lecteur fasse toutes les liaisons tout seul ; Cependant vous avez traité la chose magnifiquement. Je voudrais vous faire part de certaines remarques sur les questions et les points que vous soulevez. Entre autres, la photo de Mina de face dans l’introduction du livre est la même dont j’ai parlé. Je pense qu’elle a été prise par Houdini, à qui elle a demandé de ne pas révéler ce détail (pendant l’une des « sessions Houdini », organisée par Radner, un collectionneur m’a montré la même image, expliquant qu’elle avait été faite par Houdini, et une copie de la dite lettre où Mina demande à Houdini de ne dire à personne qu’il l’avait photographiée).

MP: Après avoir lu cette histoire à partir de quelques-uns des documents originaux, que pensez-vous maintenant du rôle et du caractère du Dr Crandon ?

AC: Je suis quasiment sûre de savoir quels furent les problème du Dr. Crandon à l’hôpital:  les femmes. C’était un coureur de jupons. Mais je pense qu’en plus de se livrer à trop de frasques avec le personnel féminin, le Dr Crandon a également été agressif envers ses collègues. De plus, je pense que Ken Silverman a laissé entendre que le Dr Crandon n’étaient pas si bien qu’il le semblait : ce qui me parait plutôt logique, car il est fort probable qu’il ait été soumis à la pression de ses nombreuses épouses précédentes – ce qui, au final, pourrait avoir compliqué les choses. Lorsque j’ai essayé d’en savoir plus sur mon arrière grand-père, j’ai eu plusieurs déceptions. Il était raciste et machiste (deux traits légués à mon grand-père. Mais tous les deux ont réussi à se cacher derrière la façade des bonnes manières des classes supérieures. Mais taquinés ou en colère, ils le laissaient transparaître, et ce n’était pas joli à voir).

Mais je me suis surprise à dire qu’il y avait aussi deux choses qui me rendent fière. La première est que, athée convaincu, le Dr Crandon n’a jamais permis que les convenances ne le pousse à croire a certaines choses. Je suppose que sa croyance au spiritisme était authentique, fondée sur un mélange d’espoir et de science, mais pas sur la religion. Cela a dû influer par la suite et rendre sa déception encore plus amère. La deuxième chose dont je suis fière est mentionnée dans le dernier chapitre de votre livre, Massimo : la pratique de l’avortement. Je ne suis pas absolument sûre, mais je l’avais déjà entendu avant, et ça semble plausible. Je suis fière de penser que l’un de mes ancêtres ait fait une telle chose, surtout à une époque où les femmes avaient si peu de solutions de rechange. En ce qui concerne le sexisme, j’estime que ce n’était pas une valeur prédominante chez lui, bien qu’il le fut dans une certaine mesure. Bien que je pense que le Dr Crandon considérait les femmes comme moins capables que les hommes, je pense aussi qu’il estimait qu’elles devaient avoir une certaine autonomie de leur corps ou de leur esprit. C’est tout à son honneur d’avoir accueilli chaleureusement ma grand-mère au sein de la famille – elle est devenue médecin à son tour, et la seule femme à avoir obtenu un diplôme de la faculté de médecine de McGill en 1939.

MP : Merci, Anna, pour avoir voulu partager avec nos lecteurs vos considérations et vos commentaires si intéressants sur l’une des plus grandes figures de l’histoire de la recherche parapsychologique.

L’affaire Margery a été largement discuté et analysé par Massimo Polidoro dans ses livres « Voyage parmi les esprits » (Sugarco), « The Great Houdini » (Piemme) et « final Seance » (Prometheus Books).

ANNEXES :

courriers

Anna m’a aussi envoyé quelques lettres de Malcolm Bird, dont le caractère de celui-ci semble émerger d’une manière assez éloquente.

AC: C’est la lettre de Bird dont j’ai parlé (en fait, il y a deux lettres, dont aucune datée. Elles sont apparemment la suite l’une de l’autre, bien que je ne sois pas certain de l’ordre). Quand il écrivait des lettres officielles à mes grands-parents, Bird utilisait l’en-tête du Scientific American. Il incluait souvent des notes personnelles dactylographiées, qu’elles soient destinées au Dr Crandon qu’à Mina, sur des feuilles spéciales de papier jaune, dont la taille était de moitié celle de la lettre normale. Celles que vous voyez ne sont que deux de ces lettres. Je serais très intéressée de savoir ce que vous en pensez. Il y a quelque chose dans le ton, dans la présentation, qui me dérange un peu (un indice de la trahison de Houdini dans sa Lettre n ° 1, un rappel du fait qu’il est lui-même en mesure de trahir Mina, dans la lettre n ° 2). Peut-être que toute la publicité lui monte un peu à la tête. Cependant, je ne sais pas qui est « cousin Carl ». Et aussi je ne sais pas qui il est Alfred Gray.

lettre 1

Cher Docteur : il me semble que le prochain point à prendre en considération soit “où en est votre situation personnelle”, avec le comité, et quelles sont vos intentions à leur égard. Avez-vous des requêtes à faire, de quel type que ce soit (au sujet de la décision, des réunions ou n’importe quoi d’autre); ou voulez-vous rester en retrait jusqu’à ce que le Comité ne prenne la prochaine décision ? Voulez-vous présenter une déclaration formelle contre Houdini, remettre en question sa présence ou son statut de membre, ou quelque chose dans ce genre ? Dans ce cas, ne croyez-vous pas qu’il serait préférable d’attendre que le recrutement d’Houdini à Boston ne lui donne l’occasion de dire ou faire quelque chose d’inapproprié qui pourrait ultérieurement renforcer votre position ? Vous y avez sans doute pensé, mais je ne crois pas que ce soit mal d’en reparler brièvement. Et n’oubliez pas que le contexte actuel me donne clairement l’occasion de prendre votre parti, et plus que je ne pouvais le faire auparavant. Je pense qu’aucune urgence ne nécessitera de rendre publique ce fait, mais si cela venait à arriver, ce sera traité.

(SANS SIGNATURE)

lettre 2

Plus tard: Je viens de voir des articles de Hearst, The Journal et The Mirror. Dans les deux cas, le titre et le thème central est « Houdini empêche Margery d’obtenir le prix de 2500 $. ». Bien sûr, on ne se soucie pas d’un accident rapporté par les journaux – Je ne sais pas si le journal de Hearst à Boston est suffisamment méprisé par les gens convenables pour que l’on puisse prendre cela comme référence, par rapport à ce que les personnes pensent des journaux de Hearst à N[ew] Y[ork]. Il y a quelques minutes, je reçu une visite du cousin de Margery, Carl (Gray). Quand il m’a été annoncé, par rapport à son nom de famille, j’avais à l’esprit Alfred. Il ressemblait à Alfred sur la photo, suffisament pour que je reste dupe lorsqu’il a fait son entrée. Il voulait savoir ce que je pensais de l’affaire, et je lui ai dit. Quoi qu’il en soit : combien serait disposé à payer ce membre du Comité pour une photo du chèque en blanc de Margery, émit à mon nom ? Juste par mesure de sécurité, je l’ai prudemment encaissé ici au bureau, faisant en sorte que lorsqu’il arrivera, on verra que cela aura été approuvé par Munn & Co.

(SANS SIGNATURE)

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note :

Initialement publié par The Skeptical Inquirer , Vol 26., N. 6, Novembre / Décembre. , 2002 : https://www.cicap.org/n/query.php?id=106

Entretien à lire en italien : https://www.cicap.org/n/articolo.php?id=274557

Merci à Indianagilles pour son aide dans la traduction des lettres de Malcolm Bird.

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