Effet Mozart Gluten Médias Pseudo-sciences Société

Episode 2 : La divergence des temps

Il s’agit du script de l’épisode #2 du Projet Utopia. Il a été complété par un autre exemple : l’étude de Gibson sur le gluten.

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Mr Rabbit IN

Bonjour et bienvenue sur le Projet Utopia !

générique

Mr Rabbit IN

La science peut bouleverser notre vision du monde, allant jusqu’à modifier nos comportements sociaux ou alimentaires. Elle l’a déjà fait et le fera encore. Mais les médias de masse aussi ont ce pouvoir. Presse, radio, télévision, et aujourd’hui internet, leur influence sociale est énorme. Et quand ces médias s’associent à la science, l’impact redouble d’efficacité. Car ce n’est plus une affaire d’opinion… “Puisque les scientifiques le disent”.

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Souvenez-vous de la crise de la vache folle à la fin des années 90. Les cas d’Encephalopathie Spongiforme Bovine sont connus depuis 1985. Il a pourtant fallu attendre 1996 pour que le lien soit fait avec une nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob, une grave maladie neurodégénérative qui touche l’homme.

IN

L’impact socio-économique à été impressionnant :

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(https://www.youtube.com/watch?v=OE74S7fDDPc&t=267s )

En effet, les grands médias ont amplifié la crainte déjà existante dans la population. Voici un extrait d’un rapport fait par la SECODIP et commandé par le sénat :

“Dans ce climat, la tentation était forte de surenchérir dans le « catastrophisme ». Tous les médias sont loin d’avoir cédé à cette tentation. Les médias ont, en effet, dans l’ensemble relaté les faits, reflété les inquiétudes de l’opinion publique et exprimé la défiance des consommateurs à l’égard des pouvoirs publics et des professionnels de la filière bovine.

Certains médias n’ont cependant pas hésité, pour « faire l’événement », à donner dans une forme de « sensationnalisme ». Ainsi, certaines émissions de télévision ont cru bon de tirer parti de l’émotion sincère que pouvait susciter le spectacle de l’agonie des victimes de la nouvelle variante de la maladie de Creutzfeldt-Jacob. S’il était important de rendre compte de la situation des victimes, ce spectacle prolongé visait bien plus à susciter l’émotion, qu’à expliquer la réalité de la situation sanitaire.

De même, la diffusion quasi systématique, pendant plusieurs semaines, dans l’ensemble des journaux télévisés, des mêmes images de la même vache folle, titubant dans le même enclos, ne semblait que de peu d’intérêt pour l’information du consommateur. Cette vache folle « en boucle » sur toutes les télévisions a, en revanche, pu ancrer dans l’opinion publique l’idée que l’épidémie d’ESB était en France comparable à celle que connaît la Grande-Bretagne, où le nombre de bovins contaminés est pourtant mille fois supérieur.”

IN

Le marché bovin c’est ainsi effondré en quelques jours, et les gens se sont tournés dans une premier temps vers le poulet, le porc et le lapin

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(image en Rose)

Ahh, chère mamie…

(Mr rabbit envoie un baiser de sa main)

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… Auquel l’industrie à rajouté le cheval, dans un 2ème temps.

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Ainsi, les médias de masses, associés aux études scientifiques, ont pu créer un climat d’angoisse sociale et modifier les comportements alimentaire d’une grande part de la population, la consommation de viande bovine ayant chutée de 40 à 50% au plus fort de la crise, et continua encore à diminuer jusqu’au milieu de l’année 2001 (cf image),  soit 5 ans plus tard !

IN

Et voyez le temps qu’il a fallu à la science pour arriver à suffisamment de certitudes pour dire “Attention, il faut faire quelque chose”: 11 ans ! Alors qu’il n’a fallu que quelques semaines, voire quelques jours, aux médias pour faire flipper la population pendant plusieurs mois, et même plusieurs années…

C’est pour cela qu’on dit que le temps de la science n’est pas le même que le temps médiatique.

PAUSE (image en pause et voix off) (avoir un effet “pause” serait bien)

Mais pourquoi je vous parle de tout ça, me direz-vous ?

Eh bien parce que cette divergence des temps peut avoir des conséquences. Ce n’est pas tout à fait le cas de la crise de la vache folle. Certes, le secteur bovin à souffert de cet emballement médiatique, mais à côté il a permi à l’information de se propager très vite, ce qui dans ce cas là est plutôt une bonne chose, surtout la crainte des gens a certainement poussé le gouvernement à prendre les choses rapidement en main.

Mais dans d’autres cas… Tenez, un exemple.

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https://www.youtube.com/watch?v=Z_1Hzl9o5ic

En 2011, Peter Gibson, professeur de gastro-entérologie à l’Université Monash et directeur de l’unité gastro-entérologique de l’Alfred Hospital à Melbourne, en Australie, a publié une étude qui montre que le gluten serait la cause de troubles gastro-intestinaux chez les patients sans maladie cœliaque. Randomisée en double aveugle, l’expérience a été l’une des plus fortes mise en évidence de l’existence probable d’une sensibilité au gluten non-coeliaque. Cette visibilité soudaine à certainement rendu possible la mise en oeuvre d’un travail de soutien aux personne au colon irritable sous forme d’application smartphone, régulièrement mise à jour selon les données établies par la science.

IN

Le gluten étant soupçonné depuis plusieurs années d’être responsable de ces maux, et la science ayant du mal à assurer qu’un tel lien existe, cette étude, et d’autres réalisées autour de la même période, sont devenues rapidement un des arguments favori des anti-gluten, et c’est bien normal : c’était le plus solide !

Et oui, je dis bien “c’était”.

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Car en 2013, Gibson et son équipe réitèrent l’expérience, en éliminant certains biais méthodologiques, notamment en intégrant la possibilité d’un éventuel effet nocebo, c’est à dire un effet placebo négatif. Et là. Rien. Aucun effet spécifique n’a pu être détecté. Remettant ainsi en cause un travail leur ayant attiré une certaine visibilité médiatique, la rigueur et l’éthique scientifique de cette équipe est à souligner.

IN

Et en attendant, beaucoup de gens pensent encore que l’impact du gluten est prouvé. Alors certes, en 2016 une autre étude a annoncée avoir détecté un lien… Mais l’attitude la plus raisonnable est de ne pas trop conclure hâtivement non plus : laissons le temps à la science de confirmer ou non cette étude isolée.

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Voici un autre exemple que j’aime beaucoup : celui de l’effet Mozart !

En 1993,  des scientifiques publient des résultats troublants: selon cette étude, notre intelligence semble être sensible à la musique que nous écoutons. En effet, le QI des patients étudiés à légèrement augmenté après l’écoute de musique classique, essentiellement dans le domaine de la représentation spatiale.

IN

Il est à noter que cet effet a une courte durée dans le temps. On redevient plus “bête” quelques minutes seulement après avoir fini d’écouter la musique…Mais certains ont supposé qu’il suffit d’écoutes régulières pour que cet effet s’installe dans la durée…

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3 ans plus tard, le musicien Don Campbell exploitera cette idée, en créant la marque Mozart effect. Dans ses écrits, il prête à cet effet étonnant des propriétés encore plus spectaculaires. Selon lui, la musique influencerait l’intelligence, mais aussi la créativité, la concentration, l’intuition, la santé et le développement du foetus dans le ventre de la mère…

IN

Tout cela, bien évidemment, sans en apporter aucune preuve solide !

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2 ans après, l’information a fait son chemin, appuyée par les médias et les campagnes publicitaires de Campbell. L’état de Floride en vient à adopter une loi pour que les écoles maternelles diffusent de la musique classique aux enfants, et la Georgie demande 105 000 dollars pour la distribution de musique classique gratuitement aux jeunes mamans…

IN

Sauf que… Vous vous en doutez bien… Cet effet Mozart n’existe pas. Jamais aucune étude sérieuse n’a réussi à réellement reproduire les résultats, et une méta analyse parue en 2010 dans la revue Intelligence conclut qu’aucun lien spécifique n’existe entre l’écoute de musique classique et l’amélioration de l’intelligence ou même de la représentation spatiale.

L’équipe de l’étude originale à certainement tiré des conclusions hâtives, mettant de côté les explications les plus ordinaires.

OFF

Par exemple, à l’écoute d’une musique, certaines zones du cerveau sont plus actives et le restent quelques temps après l’écoute, facilitant ainsi, parfois,  la “mise en route” et la rapidité de nos raisonnements. Notamment en ce qui concerne la représentation spatiale, l’étude originale utilisait la spatialisation sonore dans leur mise en situation expérimentale (voir science et pseudo-sciences n°318). Et puisqu’aucune étude n’a pu reproduire les mêmes résultats, il semble que des biais statistiques ont également joué un rôle dans leur conclusion.

IN

Il a donc fallu attendre la méta analyse de 2010, soit 17 ans, pour enfin conclure ce que les spécialistes du domaine pensaient depuis longtemps : l’effet mozart n’est que du vent. Ainsi, le temps de la science, très lent à établir des connaissances, est très différent du temps médiatique, très rapide à fabriquer des mythes ou des angoisses. Et inversement, la science produit trop rapidement des connaissances par rapport à notre capacité à les intégrer socialement. Les nouvelles connaissances pénètrent lentement et avec difficulté notre représentation du monde, et quand elles y parviennent c’est souvent dans des versions trop simplifiées ou altérées. Cette divergence des temps finit par créer de fausses informations qui deviendront parfois les fondements de mythes contemporains, de peurs irrationnelles ou de sentiment complotiste.

En l’absence d’évaluations objectives et rigoureuses notre cerveau a trop tendance à confondre corrélation et causalité, alors comment évaluer si effet il y a ou si il n’existe que dans le regard de celui qui l’observe ? Seule la méthode scientifique permet de faire la part des choses, et pour qu’elle fonctionne, il lui faut du temps. Parfois, beaucoup de temps.

Alors, désormais, lorsque vous verrez un article qui annonce qu’ “UNE étude à dit que”… Restez vigilants, soyez patients, usez d’un doute raisonnable et surveillez l’évolution de l’information scientifique sur le sujet, car pour le coup, ne comptez pas sur les médias traditionnels pour vous la fournir !

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En complément, nous vous invitons à lire cet article du CNRS qui parle d’une analyse publiée le 21 février 2017 sur la fiabilité de la presse concernant le relais des découvertes médicales :

http://www.cnrs.fr/insb/recherche/parutions/articles2017/e-dumas.html

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Sources :

Gluten :

Articles sur l’étude de Gibson (2013) : http://www.realclearscience.com/blog/2014/05/gluten_sensitivity_may_not_exist.html

et http://www.forbes.com/sites/rosspomeroy/2014/05/15/non-celiac-gluten-sensitivity-may-not-exist/#7e3d212c6f0c

vidéo gluten : http://www.abc.net.au/catalyst/stories/4358631.htm

 

l’étude de Gibson 2011 : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/21224837

l’étude de Gibson 2013 : http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0016508513007026

une étude 2016 : http://gut.bmj.com/content/early/2016/07/21/gutjnl-2016-311964.full

Article sur l’étude 2016 : http://www.pourquoidocteur.fr/Articles/Question-d-actu/16937-Un-marqueur-de-la-sensibilite-au-gluten-enfin-decouvert

 

vache folle

http://www.vie-publique.fr/chronologie/chronos-thematiques/crise-vache-folle-1985-2004.html

https://fr.wikipedia.org/wiki/Encéphalopathie_spongiforme_bovine

http://www.dailymotion.com/video/xmggt6_vache-folle-rappel-des-faits_webcam

 

Vache Folle archives INA : http://fresques.ina.fr/jalons/fiche-media/InaEdu04581/la-crise-de-la-vache-folle.html

vache folle (conso lapin) : http://www.archives-imagesplus.tv/notices/view/12448

Sénat SECODIP : https://www.senat.fr/rap/r00-321-1/r00-321-1_mono.html#toc1083

Les retombées économiques de la crise de la vache folle (Rapport INRA) : http://www7.inra.fr/dpenv/vfol__10.htm

 

Effet Mozart

Science et pseudo-sciences n°318 : Quelques mythes à propos de notre cerveau (Elena Pasquinelli) http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article2762

L’étude : https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/8255289

Vidéo effet mozart : https://www.youtube.com/watch?v=50ckXuTAtMs

Livre de Don Campbell : http://www.decitre.fr/livres/l-effet-mozart-9782890446380.html

Le cas de l’effet Mozart : http://psycho-ressources.com/blog/effet-mozart/

Une légende qui rapporte : http://www.axelrad.fr/site3wp/afis/psychologie/leffet-mozart-reve-ou-realite/

Le mythe tombe : http://www.pseudo-sciences.org/spip.php?article1590

Meta analyse 2010 : http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0160289610000267

Le gouverneur de Georgie commande des CD http://www.nytimes.com/1998/01/15/us/georgia-s-governor-seeks-musical-start-for-babies.html

 

De véritables hoax pseudo-scientifiques, qui ont à chaque fois le même énoncé ou presque :

citron hoaxbuster : http://www.hoaxbuster.com/hoaxliste/cancer-citron

citron debunk : http://www.extenso.org/article/le-citron-est-10-000-fois-plus-puissant-que-la-chimiotherapie/

hoax citron : http://www.topsante.org/plus/actuces-naturelles/270-le-citron-est-10-000-fois-plus-puissant-que-la-chimiotherapie

hoax graviola : http://monyka-sensible.eklablog.com/une-plante-10-000-fois-plus-puissante-que-la-chimiotherapie-a127397544

hoax gingembre : http://www.astucesnaturelles.net/une-etude-demontre-que-le-gingembre-est-10-000-fois-plus-efficace-que-la-chimio/

Elle soigne son cancert avec du citron (et meurt) : http://www.leparisien.fr/societe/ils-ont-voulu-soigner-son-cancer-avec-du-citron-13-01-2010-774876.php

Hoax pomme canelle : http://www.reporterguinee.com/2016/09/19/un-fruit-10000-plus-puissant-contre-le-cancer-que-la-chimio-therapie/

 

Aller plus loin :

“Le temps médiatique d’une actualité scientifique et son intégration dans l’enseignement” : https://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=9&ved=0ahUKEwiJiPbRyezRAhXFORoKHfMUA1kQFghRMAg&url=http%3A%2F%2Fbenoit.urgelli.free.fr%2FRecherches%2FArticles%2FActualites-Medias-Ecole-13-04-04.rtf&usg=AFQjCNE3xMpYAN6SZKpjjSDnfBKcpleYXQ&cad=rja

“D’après une étude”, cet imparable argument d’autorité : https://theconversation.com/dapres-une-etude-cet-imparable-argument-dautorite-74413

Les découvertes biomédicales rapportées par la presse sont-elles fiables ? http://www.cnrs.fr/insb/recherche/parutions/articles2017/e-dumas.html

 


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